Des illusions
Comme nous pensions nous élever, nous avons saisi les branches qui se tendaient vers nous et nous avons tourné les yeux vers un ciel a priori sans orage.
Nous avons commencé par décrire des cercles, ventres creux, ombre sans portée, pensant pouvoir – pour la première fois – nous étendre afin de nous atteindre et nous avons commencé à scruter l’en-dessous de l’étendue du chemin jusqu’alors parcouru sans visée.
Ce n’était déjà pas rien que de ressentir – comme au sortir du ventre – une faim et une soif que nous savions pouvoir être apaisées, puisque enfin nous pouvions les nommer, puisque enfin nous pouvions les regarder croître et chercher à les discerner du fracas que l’en-dehors impose pour nous cloisonner à des raisonnements stériles, à des circonvolutions où nos êtres éperdus s’épanchaient sans se trouver.
Ce n’était déjà pas rien que de prendre conscience, comme on prend corps en prenant cet air qui devient si facilement irrespirable, si fragilement vicié ; ce n’était déjà pas rien que d’apercevoir des signes tangibles de reconnaissance et de sentir pousser, dans cette inconscience feutrée, un désir réel du soi, de ne plus vouloir gommer les excroissances, un désir de nudité intense qui rend soudain insupportable la moindre peau qui jusqu’à présent protégeait.
Comme nous pensions nous élever, nous avons cru qu’il suffisait que le ciel se déchire pour que des nues surgissent cet élan qui soulève et que nos passés, lourds comme des pierres, deviennent enfin un point d’achoppement d’où se délester des mortes et des morts qui jusque là s’ingéniaient à hanter, à disparaître et à réapparaître sans qu’on les chasse et sans qu’on les convoque.
Comme au premier jour, vierges et sans parure, nous avons voulu voir de l’inédit dans chaque heure qui s’annonçait comme triomphante, parce qu’imprégnée de la volonté de dissoudre les amalgames, de disséquer sans déchirer les sentiments, parce qu’intensément chargée d’une naïve espérance à laquelle nulle entrave ne venait rappeler ces devoirs imposés de s’imposer au monde, pour ne pas qu’il nous force ou nous brutalise.
Il paraissait que les jours où la vie se vidait de son sens premier – la vie elle-même – s’étaient soudainement dissous dans l’absolue nécessité de palper à même l’ego, sans convenance, sans restriction, sans a priori et bien que nous ne fûmes pas neufs, il semblait tout à fait possible de partir de ce point où le passé sans s’éteindre se clôt sur une note de beauté.
Las, il aurait fallu sortir du cercle pour décrire des arabesques, être branche soi-même, il aurait fallu que l’étendue soit plus vaste et plus intime, il aurait fallu que la portée de nos ombres se déploie sans crainte des ecchymoses et qu’au matin, le matin soit comme une aube et comme une aurore sans artifice.
Las, il aurait fallu que la nudité soit encore possible sans que les membranes des cœurs et des âmes ne se désagrègent mais qu’elles s’imprègnent sans se dissoudre.
Las, il aurait fallu que les rêves au-dessus de nos êtres s’épaississent, plus encore que les cors de nos pieds, que la callosité de nos mains, que tous les éphémères où nous avions ancré jusqu’à présent nos incertitudes tenaces.
Car le ciel s’est rempli d’orages et sur nos peaux à fleur, nos épidermes se sont fanés.
m. pour L’Orchestre Poétique d’Avant-guerre
Paris - 11 mai 2012
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