Federico Garcia Lorca (1898/1936)
Poète assassiné par les milices franquistes le 18 août 1936 à Viznar (Espagne), jeté en fosse commune, censuré en son pays jusqu’en 1953...
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Lorsque je suis sorti de la caverne, le soleil m’a ébloui, presque hébété car j’avais passé tant de temps dans l’obscurité que mes yeux avaient du mal à voir, par delà l’opacité, les couleurs de ce monde neuf.
On ne s’invente pas Poète, on ne choisit pas d’avoir son âme, son cœur et son corps traversés, perméables, impressionnables à chaque trace de vie.
Les mots vous viennent en avalanche, voilà tout, emportant sur leur passage les maladresses de nos adolescences fébriles, les timidités passagères ou tenaces qui tenaient éloignés des beautés à étreindre.
Les mots vous viennent en avalanche, il ne sert à rien de se débattre. Il faut les prendre et les soulever, il faut les polir, les cerner, trouver en eux ces racines d’où tout part et où tout revient, jusqu’à nos rêves où la femme nue se promène.
On ne s’invente pas Poète. Les mots vous viennent en avalanche et il faut les écrire pour ne pas y succomber, pour ne pas mourir.
Du moins c’est ce que je croyais, dur comme le fer, jusqu’à ce jour d’août 1936 où le voile est tombé sur mes yeux.
Bien sûr il faisait chaud dans les environs de Grenade quand ils ont frappé à ma porte.
J’ai compris tout de suite que la vie s’en irait de moi plus vite qu’elle n’aurait dû, qu’il faudrait bientôt me délester de ma peau et abandonner au gouffre ma dépouille mortelle
J’ai reposé ma plume dans l’encrier et je les ai suivis.
On ne sait rien de ce qu’il m’advint réellement.
M’ont-ils torturé, avant, pour faire sortir de moi des mots d’où n’émergerait jamais ma poésie ? Elle que je devais quitter là, une balle logée dans la tempe gauche, une autre sous la quatrième côte, à droite, deux autres encore, près du front et dans le ventre… Oui, dans ce ventre où je gardais bien au chaud ma rage, ma haine du fascisme et mon amour, tout mon amour pour mon Espagne !
Les poètes sont comme les enfants et on leur fait grande place aux banquets éternels.
Je repose en des cieux que Franco ne verra jamais. Là, le chant du flamenco me réchauffe et me berce, me ramenant, rêveur, sur les chemins de Grenade.
Est-il vrai qu’aujourd’hui l’olivier y a fleuri ?
Je ne suis donc pas mort.
m. pour O.P.A
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