Visages Pâles
Visages pâles, nous avons craint de voir nos peaux brunir au soleil et nous sommes retournés à l’ombre des cavernes, pourtant frileux, nus sous l’abîme de l’apparence, ouvrant nos béances à la solitude.
Nous avons recouvert de nos mains nos yeux, comme si c’étaient eux qui nous auraient permis de voir, comme si nous ignorions que cela viendrait de quelque part en nous de plus profond et de plus sensible.
Visages pâles, nous ne savions plus déchiffrer les rêves, ni lire dans le vol des oiseaux la venue de l’orage mais nous pouvions transpercer le ciel, nous mouvoir plus vite que le son, vivre et mourir sans avoir pris soin de nos âmes.
Nous pensions avoir évité le chaos, de n’en avoir, pour certains d’entre nous, même pas ressenti la secousse, de n’avoir pas été ébranlés et au bout, de n’avoir que des questions existentielles pour nourrir nos appétits, pour justifier nos élans chromosomiques, pour décrocher de la matière.
Visages pâles, voulant toujours éviter le pire et remettant à plus loin, dans l’ailleurs, les rites de nos barbaries, nos maisons restaient closes mais nous n’étions plus aux aguets.
Nous étions si domestiqués qu’à ravaler nos rages, des dents de lait ornaient encore nos bouches et que nous titubions, alors même que nous pensions courir.
Visages pâles, de la décadence de nos civilisations, nous n’entendions que le roulis lointain des conséquences et nous appelions « lendemains » ces jours qui s’effeuillaient sans évidence, qui tombaient un à un, sans poids et sans consistance, qui repoussaient.
Nous rêvions des étoiles alors même que nos pieds ne prenaient pas racine, alors même que nos corps s’entravaient, alors que nos dos devenaient courbes et que nous ne respirions déjà plus que par à-coup.
Visage pâles, à recoudre nos peurs, à nous vouloir à tout prix vivants, nous songions, aux termes d’euphories passagères, que nous avions déjà assez pleuré et que l’acquis valait toujours mieux que l’inné pour se départir des héritages sanglants.
Les descendances étaient venues et nous nous disions, finalement, que le voile s’était épaissi suffisamment, qu’il n’était peut-être plus nécessaire de se tenir aussi raidement sur nos gardes ; nous avons cru entrevoir l’aisance et la facilité : ces dons qui n’en étaient pas et que nos voulions transmettre comme si cela était dans l’ordre de choses.
Visages pâles, nous ne pouvions plus réchauffer nos faces au filtre du Zénith, nous ne pouvions plus, ouvrant jusqu’aux os, saisir la quintessence.
Nous avions oublié tant de gestes qu’il ne restait plus rien de ces êtres qui avaient fui, pensant aller vers, et qui maintenant s’agitaient, déployaient sans visée leurs trajectoires étroites, délicates et déliées, insondables.
Visages pâles, nous repoussions cette voix invisible qui nous hâtait de comprendre, qui parcourait nos limbes, qui tintinnabulait, qui bourdonnait parfois si fort que nous nous sentions obligés de parler haut, pour ne pas perdre le fil, pour poursuivre nos chimères, ce bonheur préconçu où noyer nos identités floues et équivoques.
Puis le fou agita le grelot et nous fûmes obligés de voir.
Notre éclatante nudité.
Notre œil, au centre, cousu.
Nos prémonitions enclavées.
Nos instincts retenus.
Nos résurgences primaires.
Nos férocités élimées.
Notre courte vue.
Nos branches sans rameaux.
Nos souffles courts.
Nos ventres inféconds.
Nos inspirations fades.
Nos objectifs étriqués.
Nos verbiages rudimentaires.
Il fallait un sursaut.
Il vint, de quelque part en nous de plus profond et de plus sensible.
Le 8 juin 2009
Fil Info » O.P.A.